Pendant plus de soixante-dix ans, à partir de l’orée du XXe siècle, entre la rue Forest, la rue Caulaincourt et le cimetière, l’Hippodrome puis le Gaumont Palace ont attiré des millions de spectateurs dans un lieu marqué par le gigantisme et le luxe. L’imagination des programmateurs successifs ne sauvera pas ce bel édifice Art déco, détruit et remplacé dans les années 1970 par le bâtiment fonctionnel et sans âme que nous connaissons aujourd’hui.
Au commencement était l’Hippodrome, œuvre des architectes, Galeron, Duray et Cambon, ce Cambon qui a beaucoup construit dans ce quartier notamment la totalité de la rue Cavallotti proche. Il est inauguré le 13 mars 1900, vingt-six mois après la pose de la première pierre, à l’occasion de l’Exposition universelle. Marqué par le gigantisme, ce bâtiment de structure métallique derrière la façade de pierre de style éclectique offre une salle de 7 000 places dont 5 000 places assises, sur cinq niveaux, une piste de 70 mètres sur 35, un Grand restaurant de 2 000 couverts décoré par Edouard Niermans qui, sur ce même boulevard de Clichy, avait décoré le Moulin rouge en 1889 et l’Elysée Montmartre en 1894.
Pourquoi un Hippodrome au cœur de la ville ?
A l’aube du XXe siècle, le cheval garde en ville une place considérable. On estime qu’en 1900, 80 000 chevaux foulent le pavé parisien, des carrioles de livraison et des lourds charrois, des voitures des particuliers aux élégants qui chevauchent avenue du Bois et aussi des transports publics et privés.
En 1889, la Compagnie générale des omnibus utilise 17 000 chevaux tirant des voitures à impériale, 3 robustes percherons pour les voitures de 40 places, 2 pour les voitures à 30 places, alors que les premiers tramways urbains, le chemin de fer américain, sont tirés par des chevaux. Et aussi la Compagnie des petites voitures, ses 15 000 fiacres, les 9 000 voitures particulières jusqu’au 150 corbillards tirés par 2 à 4 chevaux… On conçoit que la présentation de spectacles montrant des chevaux soit à l’ordre du jour.
Paris a connu successivement cinq hippodromes, le premier construit en 1845 juste au-delà de la barrière de l’Etoile, alors hors de Paris. Lui succède de 1856 à 1859 l’Hippodrome du Rond-point de la Plaine de Passy, toujours au-delà des barrières. Des Hippodromes sont implantés aussi à Lyon, Lille ou Toulouse. L’Hippodrome de Clichy, 1 rue Caulaincourt, prend la suite de l’Hippodrome du Champ de Mars installé avenue Rapp de 1894 à 1900, succédant à l’Hippodrome de l’Alma, à l’extrémité de l’avenue Montaigne de 1887 à 1892, l’un et l’autre ayant eu pour promoteurs ceux qui construiront l’Hippodrome de la place Clichy. Au Champ de Mars en effet, il a fallu laisser la place à l’Exposition Universelle qui, inaugurée le 14 avril par le président Emile Loubet, va attirer en sept mois plus de 50 millions de visiteurs. Ces hippodromes sont des lieux de spectacle présentant des numéros équestres, mais aussi des clowns, des trapézistes, des animaux dressés (des singes aux éléphants), des corridas (eh oui…), des courses de vaches landaises, des spectacles historiques.
Pourquoi avoir choisi ce quartier de la place de Clichy ?
En lien direct avec ce Montmartre du plaisir et du crime qu’évoque l’historien Louis Chevalier, cet emplacement semble bien loin de l’Alma bourgeois et du Champ de Mars des militaires.
C’est que, depuis le Second Empire, d’Anvers à Clichy, cette partie de ce qu’on appelle alors les boulevards extérieurs - bien après 1860 et l’annexion des communes qui entouraient Paris - était devenue un des hauts lieux du Paris où l’on s’amuse. C’est un mélange d’une crapulerie venue peut-être des anciens abattoirs de Montmartre, les plus importants des abattoirs parisiens de 1818 à 1860, démolis pour créer le quartier d’Anvers, et d’un esprit bon enfant presque familial.
C’est aussi le mélange du monde des souteneurs et de Jésus la Caille cher à Carco au grand spectacle pour tous, comme le cirque Fernando boulevard Rochechouart rebaptisé Medrano en 1897, en passant par le Trianon, depuis 1894. C’est enfin la Gaité-Rochechouart où débute Mistinguett en 1897, où la jeune Colette montre ses pantomimes en 1910 et, bien sûr, le Moulin Rouge « le lieu où la ville a installé ses plaisirs » où se rencontrent le Paris populaire et la haute société depuis 1889.
Desservi par la ligne 2 du métro, la ligne des boulevards de ceinture
Ce lieu stratégique est desservi dès octobre 1902 par la ligne 2 du nouveau métro, la ligne des boulevards de ceinture, d’Etoile à Anvers dans un premier temps. Des terrains sont disponibles dans ce secteur qu’on nomma longtemps le Hameau des Batignolles à proximité immédiate du cimetière Montmartre ouvert dans les années 1830, facilement accessible depuis la butte Montmartre depuis la construction du pont Caulaincourt en 1888.
En 1890, rue Forest, un immeuble de qualité est construit par l’architecte Bellot pour héberger une agence du Crédit municipal de Paris pratiquant le prêt sur gage à des fins sociales : accueil du public et vastes entrepôts. L’Hippodrome s’y adossera. A peine plus loin, Cambon construit les 17 immeubles uniformes de la rue Cavallotti de 1897 à 1900. Reste disponible, à l’entrée de ce secteur, le jardin du père Forest, enclos à demi sauvage où la Compagnie des Archers de Montmartre s’entraîne au tir à la cible et où Toulouse-Lautrec, descendu de son atelier de la rue Tourlaque par la rue Caulaincourt, peint les portraits de Suzanne Valadon ou de Justine Dieuhl dans un décor champêtre. C’est en 1897 que Forest cède son jardin à la compagnie franco-anglaise qui construira l’Hippodrome.
Un succès immédiat pour « cet immense vaisseau décoré avec luxe »
L’ouverture de l’immense Hippodrome – à vocation grand public – est unanimement saluée.
Peu après l’inauguration, le 13 mai, Le Figaro apprécie « un monument d’une très belle tenue architecturale, cet immense vaisseau décoré avec un luxe et un goût exquis ». Quant au spectacle, « il faut saluer tous les numéros du programme, les 10 chevaux alezans présentés en liberté ; les Neiss des acrobates absolument vertigineux ; le dompteur List et, clou du spectacle, Vercingétorix pantomime à grand spectacle (…) d’une magnificence vraiment incomparable (…) fête du gui et les pittoresques incantations des druidesses, puis c’est la bataille sous Alésia, avec un mouvement échevelé de guerriers, d’amazones et de chevaux au galop (…). Enfin, c’est le triomphe de César (…) et sa splendeur atteint son summum : 850 personnes, 120 chevaux évoluent sur la piste (…) ; un ballet exquis trouve ici sa place avec Mlle Ferrero, première danseuse étoile, et Mlle Stocchetti, première danseuse travesti (…) Le succès a été énorme, et nous avons là de belles soirées en perspective. »
Hippodrome : sept ans d’aventures
L’aventure de l’Hippodrome dure sept ans avec ce type de spectacles pour petits et grands : numéros équestres, cirque, animaux sauvages, spectaculaires reconstitutions historico-patriotiques, et aussi soirées de bienfaisance comme cette soirée du 13 mai 1902 au bénéfice des sinistrés de la Martinique touchés par l’éruption de la montagne Pelée qui a fait 30 000 victimes.
Louis Chevalier décrit bien la fête de l’Hippodrome avec sa foule immense venue de tous les quartiers de Paris, ses bourgeois réjouis qui accourent en famille, avec ses manières bon enfant, ce public populaire venu de tout Paris. On est loin de la fête montmartroise un peu crapuleuse même si dit-on la vision, rare à cette époque, des cuisses des écuyères que l’américain James Tissot avait peintes à l’époque de l’Hippodrome de l’Alma, pouvait susciter quelque émoi : la prostitution du boulevard s’arrête à l’Hippodrome.
La Place Clichy sera un lieu où se côtoient les publics les plus divers : cinquante ans plus tard, dans son roman Le grand Bob, Georges Simenon voit en la place de Clichy « un de ces carrefours de Paris où la vie est bouillonnante, à la limite du monde des petits bourgeois, de celui des ouvriers et des employés, enfin de la bohême et de la noce ». Cinquante ans plus tard certes mais, en 1954, le Gaumont-Théâtre a encore presque vingt ans devant lui… Mais, le cirque, c’est un métier, que les gestionnaires de l’Hippodrome ne dominaient pas forcément.
Dès 1903, la programmation est confiée au cirque Bostock, compagnie anglaise installée aussi aux Etats-Unis depuis 1893. A la suite d’une tournée en France en 1902, The Bostock Great Animal Arena s’installe durablement à l’Hippodrome. Le succès est immédiat, grâce à la ménagerie exotique que le spectateur découvre d’emblée dans les cages dorées du « promenoir zoologique » avant d’entrer dans la salle. Un aperçu du programme : Miss Morelli et ses jaguars, Jack Bonavita avec ses tigres du Bengale, Blanche Allarty, ses chevaux andalous et ses chameaux, les crocodiles de Perpelet… La façade de l’Hippodrome affiche « Cirque Bostock ».
Le temps des vaches maigres
Pourtant, dès 1906, l’Hippodrome redevient déficitaire. Ce n’est pas faute d’avoir tout tenté : matches de football, de boxe, courses cyclistes, spectacles de combat naval, jusqu’à, en 1905, Buffalo Bill et son Wild West Show. Buffalo Bill a alors 59 ans, il est logé au Terrass Hotel rue Caulaincourt, construit en 1911, ancêtre de l’actuel hôtel. Il s’était produit dès 1889 à l’Hippodrome de l’Alma (on pense au film de Marco Ferreri Touche pas à la femme blanche où, en 1974, le général Custer et Buffalo Bill s’affrontent dans le trou des Halles de Paris, les indiens réglant la rivalité de ces deux personnages, film qui aurait pu être tourné dans « le trou du Gaumont-Palace » mais n’allons pas trop vite). Une pantomime avec l’américaine Loïe Fuller, créatrice de la danse serpentine, admirée par Mallarmé, Rodin et Lautrec mais qui, la quarantaine bien tassée, est éclipsée par sa compatriote Isadora Duncan ne sauvera pas l’établissement.
En 1907, fin du cirque Bostock, une partie du matériel et des animaux est vendue aux enchères. Une piste de patins à roulettes est aménagée par une compagnie anglaise, le Paris Hippodrome Skating Ring, une salle de cinéma s’installe au sous-sol.
De 1907 à 1909, après plusieurs mois d’inactivité, ultime tentative de relance avec des projections de cinématographe « Tous les soirs, le plus grand cinématographe du monde, organisé par la Compagnie des Cinéma-Halls, bruit, paroles et chants. »
Le salut et l’arrivée des Gaumont
Le salut viendra en 1911 avec le rachat de l’Hippodrome par Léon Gaumont, au nom de la SEG (Société des Etablissements Gaumont). A 47 ans, Léon Gaumont est un personnage considérable. D’origine modeste, au travail à 17 ans, cet autodidacte assidu des cours du soir, passionné de photo, s’était initié à la mécanique de précision et aux instruments électriques auprès de Jules Carpentier proche des frères Lumière. Il a aussi le sens des affaires et crée la société Gaumont l’année même de la première projection publique des frères Lumière. Dès 1896, il produit des caméras qui utilisent une pellicule perforée et d’autres matériels cinématographiques. A l’Exposition universelle de 1900, Léon Gaumont expose un appareil complet : image et son via un phonographe qui, en 1910, sera nommé Elgéphone.
Il comprend qu’au-delà du matériel, il faut aussi produire des images et, si possible, les distribuer.
Produire : Alice Guy, la secrétaire de Léon Gaumont, passionnée de cinéma, sera reconnue par les historiens du cinéma comme la première femme réalisatrice. Pour populariser les caméras, elle produit des « vues animées ». Puis, scénariste et réalisatrice, elle tourne de vrais films. Et c’est à ce moment que Léon Gaumont ouvre ses studios des Buttes Chaumont, la cité Elgé, initiales de Léon Gaumont : production de caméras, décors, prises de vue, tirage des copies, impression des affiches… Parmi tant d’autres films, Alice Guy tourne en 1905 La vie du Christ, superproduction avec 300 figurants. Très différent, ces Questions indiscrètes tourné par Alice Guy en 1908 où le fantaisiste Félix Mayol clame son amour à sa voisine Rosine qui lui répond « Si vous l’avez si chaud que ça, saperlipopette, vous n’avez qu’à le mettre dans l’eau, ça rafraîchira ». Dire que sans le procédé Elgéphone, le spectateur aurait raté une telle répartie !
10 000 lampes à incandescence
Gaumont saisit l’occasion de reprendre les locaux de l’Hippodrome, tombé comme un fruit mûr.
En prévision de l’ouverture de l’Hippodrome Gaumont le 11 octobre 1911, son architecte Auguste Bahrmann aménage l’espace : 3 400 sièges et 1 600 places debout dans les promenoirs, éclairé par plus de 10 000 lampes à incandescence. Par souci de sécurité, le projecteur est installé dans une cabine isolée à l’extérieur du bâtiment du côté du Crédit municipal, projetant sur l’écran par transparence : le film est hautement inflammable et le souvenir de l’incendie du Bazar de la charité en 1897 est encore très présent.
Cet immense cinéma garde certains aspects des spectacles traditionnels de l’Hippodrome avec ses 21 loges, plusieurs buffets et salles de réception pour les entractes : cinéma et aussi lieu de convivialité voire de rencontres.
Héritage de l’ancien Hippodrome, un orchestre de 50 musiciens et choristes accompagne les projections et des attractions sont organisées à l’entracte (cela durera jusqu’à la fin du Gaumont-Palace en 1971). En 1912, on projette des films en couleurs et les premières actualités Gaumont qui concurrencent les actualités de Charles Pathé. Les actualités Gaumont auront une très vaste diffusion, jusqu’aux palais du tsar de Russie et du roi de Roumanie.
Dès 1912, sont projetés des films en couleurs sonorisés : 3 films, 3 objectifs regroupés sur un immense écran, comme une préfiguration du cinérama qui sera présenté au Gaumont-Palace dans les années 1960, sans pour autant sauver la salle.
Le festin de Néron
Gaumont produira des séries, formule à succès pour fidéliser le public à qui on offre dans une même séance divers petits films, des séries comme Les Vampires 1912 Fantomas 1913, Judex 1917, des attractions, un grand film. Ainsi, en 1913, le film Quo Vadis est précédé d’un ballet sur la scène Le festin de Néron.
Gaumont fait travailler des créateurs qui marqueront l’histoire du cinéma comme Louis Feuillade qui réalisera 800 films de série comme Barrabas en 12 épisodes. Ainsi, pour l’année 1920, La fête espagnole de Germaine Dulac, Le carnaval des vérités et L’homme du large de Marcel Lherbier, Narayana de Léon Poirier, présentés à côté des courts métrages de Charlot ou Fatty. Ce même Fatty Arbuckle qui sera présent au Gala de charité au profit de la Mutuelle du cinéma en décembre 1920 avec un programme éclectique dans la tradition Gaumont : grand film artistique puis deux films inédit de Fatty, concert musical, sketch acrobatique, et Fatty lui-même sur scène, en chair beaucoup et en os assez peu : de quoi occuper une journée.
En 1925, Gaumont enrichit son catalogue en passant un accord avec la Metro Goldwyn Mayer. Les films américains et leurs stars vont fleurir place de Clichy, alternant avec les réalisations du studio Gaumont, grands films toujours accompagnés d’attractions. Ainsi en 1925, à Lilian Gish dans un film d’Henry King The White Sister, succède le jeune Charles Vanel dans Pêcheurs d’Islande de Charles de Baroncelli, et Charles Dullin incarne le roi Louis XI dans Le Miracle des loups, avant un remake de Quo Vadis où Emil Janings incarne Néron, L’Aigle noir avec Rudolph Valentino, Buster Keaton dans Les Fiancées en folie ou Greta Garbo dans Le Torrent et encore Ben Hur avec Ramon Novarro réalisé par William Wyler et Henry Hathaway débutants. Eclectisme, comédiens classiques et stars internationales…
Le Napoléon d’Abel Gance est projeté pendant dix semaines !
Et, année après année, le Gaumont continuera à présenter de grands succès comme en 1928 le Napoléon d’Abel Gance, en deux épisodes pendant dix semaines avec, particularité du Gaumont, la présence sur scène à chaque séance d’Albert Dieudonné, le comédien qui avait fini par se prendre pour Napoléon et aussi, côté américain, Le masque de fer avec Douglas Fairbanks ; c’était en 1930, juste avant que le Gaumont-Palace ne ferme pour travaux.
En 1931, le bâtiment de 1900 est largement remanié. Façade art déco de l’architecte Henri Belloc, conservant seulement les murs et l’ossature métallique. La salle de 6 000 places est complètement redessinée. Le Gaumont-Palace reste le plus grand cinéma du monde, air conditionné, interdiction de fumer, une première. Sous un plafond acoustique ondulé, deux balcons-paquebots de 45 mètres de portée sont aménagés : on les rejoint du hall par un double escalier monumental. Derrière le rideau rouge du cadre de scène de 22 mètres x 15 mètres, l’écran de 12 mètres x 14 mètres est si vaste pour les grands films qu’on prête cette déclaration à Fernandel : « Quand je souris au Gaumont-Palace, je montre des dents de cinq mètres de haut ». Les espaces conviviaux sont préservés : pendant les entractes, on découvre les attractions au promenoir, tir, jeux divers, on se fait tirer le portrait.
L’orchestre est remplacé par un orgue gigantesque qui, pendant les entractes jaillit du sous-sol. Seul rescapé de la destruction du Gaumont-Palace en 1973, il est réinstallé au Pavillon Baltard à Nogent sur Marne.
La revue Cinématographie française décrit : « Par les grandes baies, transparait le soir la lumière éblouissante du hall. Tout en haut se découpe sur le ciel le sommet de l’établissement qui, de loin, attire les regards sur la façade toute rose ».
Une façade Art déco que l’on regrettera !
Succédant au premier Hippodrome, fascinant par son gigantisme mais à la façade un peu pataude, à en juger au moins par les photos, c’est ce Gaumont-Palace art-déco que l’on regrettera.
Une revue d’architecture l’affirme « l’édifice est en lui-même un spectacle ». Il ne reste comme témoignage de cette architecture que le Rex réalisé en 1932 alors que de nombreux cinémas de cette époque comme l’Ornano 43, construit en 1933, ont été détruits ou transformés en supermarchés. Nous n’oublions pas le superbe Louxor à Barbès plus exotique qu’art-déco. Que reste-t-il des Gaumont-Cinéma londoniens construits en1932 à Peckham et Woodgreen, ou de celui de Plymouth car Gaumont était aussi une multinationale ?
Nous n’évoquerons pas ici les films projetés dans les années 1931 – 1971. Ils sont à l’image de ceux qui sont projetés dans les bons cinémas de Paris. Le Gaumont-Palace reprend parfois des films sortis ailleurs en première exclusivité.
Mais au Gaumont- Palace on a droit au décor, à des attractions qui sortent de l’ordinaire, à des « coups » de communication : pour la première de Ben Hur en 1959, Charlton Heston est présent !
Et puis, cette salle immense se prête si bien aux galas de bienfaisance : en 1942, une fête est organisée pour les familles des travailleurs français en Allemagne, avec Edith Piaf, Charles Trenet et l’orchestre de Fred Adison.
Histoire encore : le 4 avril 1945, première en VO du Dictateur de Charlie Chaplin. Du 12 avril au 21 juin, le Gaumont-Palace est réquisitionné pour accueillir prisonniers de guerre et déportés de retour : 200 000 d’entre eux passent par la place de Clichy. Puis Le Dictateur est reprogrammé, cette fois en VF. La Cinématographie française annonce au milieu du mois d’août que 585 000 spectateurs ont vu ce film.
Passage au cinémascope
En 1954, on passe au cinémascope, la salle est rénovée, gardant toujours promenoir, fumoir bar, salon de thé comme il sied à un établissement de cette classe. Des fauteuils Gaumont à encadrement chromés sont posés. La façade est à nouveau remaniée : fontaines lumineuses puis tubes fluorescents bleus et verts.
1962-1967 le Cinérama sauvera-t-il le Gaumont-Palace ? L’écran courbe de 670 m2 et le nombre de sièges réduit à 2 400 ne suffiront pas. A la fin de l’expérience, on revient à la capacité d’origine. En dépit ou à cause de ces expériences, le devenir du Gaumont-Palace devient problématique. Certes, superbement placé, il reste le plus prestigieux des nombreux cinémas du secteur Rochechouart - Pigalle - Clichy. Aller au Gaumont-Palace, ce n’est pas seulement voir un film, c’est passer une belle soirée.
Dans Les 400 coups que François Truffaut, un enfant du quartier, tourne en 1959, c’est bien au Gaumont -Palace qu’Antoine Doinel entraîne ses parents, un de ces soirs, plutôt rares, où l’harmonie règne dans la famille.
Mais de tels équipements sont très coûteux : les spectateurs sont accueillis par 30 ouvreuses le chauffage nécessite 9 tonnes de charbon chaque jour…
Et puis, le goût du public évolue. Un ancien projectionniste du Gaumont confiera, après la fermeture et la démolition : « Tant que la télévision était en noir et blanc, il y avait encore des gens au cinéma, car ils avaient la couleur. Quand la télé y est passé avec de plus en plus de chaines, les cinémas ont commencé à péricliter. »
En décembre 1970, le quotidien Le Monde annonce que le bâtiment sera abattu pour construire un centre commercial, des bureaux, des garages et aussi 2 ou 3 salles de 500 fauteuils, de grand confort « selon une formule qui plaît au spectateur d’aujourd’hui » Les salles de cinéma en moins, des hôtels en plus, c’est ce qui sera réalisé. Le Gaumont-Palace fermera le 22 mars 1972 sur Les cow-boys, un western avec John Wayne.
Il sera détruit un an plus tard. Matériel et archives finiront à la benne.
Philippe Limousin