Les piétons, laissés pour compte dans la « concertation » sur l’aménagement du Pont Caulaincourt

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Sacrifiés en 1987 pour créer une voie de circulation supplémentaire, les trottoirs du Pont Caulaincourt sont trop étroits pour le flux des piétons très nombreux à l’emprunter chaque jour. Notre association demande depuis longtemps, en vain, leur élargissement. Les piétons devront encore jouer des coudes : la prochaine rénovation leur préfère les cyclistes à l’issue d’une concertation qui n’en porte que le nom : le lancement des travaux a eu lieu avant la réunion qui devait débattre du projet !

 

 

Ce fut une belle réalisation que ce pont Caulaincourt, un ouvrage d’art. Depuis 1888, il franchit majestueusement le cimetière Montmartre. C’est un pont-rue comme le pont de l’Europe au-dessus des voies de Saint-Lazare « un véritable boulevard au-dessus des tombes », disait-on.

Il eut des débuts difficiles. Imaginé sous le baron Haussmann pour relier la butte Montmartre au centre de Paris par le flanc ouest après les annexions des communes suburbaines de 1860, ce projet a suscité quantité de levées de bouclier et il a fallu vaincre les résistances de notables qui n’acceptaient pas qu’un pont métallique enjambât les caveaux familiaux.

Le pont devra s’appuyer sur six couples de colonnes doriques en fonte fondées et érigées dans le cimetière. Bâtir les fondations de ces colonnes exigeait de déplacer un certain nombre de sépultures. Il fallut vingt-cinq ans pour vaincre ces réticences, jusqu’en 1888.

Et du fait de l’utilisation très récente de l’acier dans l’architecture urbaine, et du peu de recul sur sa durabilité, le pont sera remanié à de nombreuses reprises dans les décennies qui suivent. Dès 1895, certaines mailles des poutres avaient fléchi et s’étaient voilées, conduisant à interdire la circulation des véhicules. En 1919, des travaux de consolidation des fondations sont réalisés et, en 1932, le pont est élargi. En 1939, le tablier métallique est rénové et renforcé.

Des débuts difficiles, des avanies mais un beau pont aux larges trottoirs éclairés par six lampadaires de part et d’autre, de nombreuses cartes postales en témoignent.

 

Le pont Caulaincourt quand il donnait leur vraie place aux piétons. Ils pouvaient circuler à quatre de front sur un trottoir de 3,50 m de large. Noter les jolis réverbères en bord de chaussée. Le Terrrass’Hôtel, au 12-14 rue Joseph de Maistre, n’est pas encore construit.

 

 

Les piétons sacrifiés au profit de la circulation automobile

Las, en 1987, la largeur des 2 trottoirs est considérablement réduite, passant de 3,50 m selon les dessins d’architecte à 2 m. Les arbres d’alignement du côté pair de la rue Caulaincourt vers la place de Clichy sont abattus pour laisser place à une voie de circulation supplémentaire.

Cette décision funeste vient à contre temps : c’est plutôt à la fin des années 1950 que furent élargies les chaussées et donc rétrécis les trottoirs des avenues haussmanniennes comme le boulevard Magenta ou l’avenue Parmentier. Du coup, les arbres vénérables étaient abattus, remplacés alors par de jeunes pousses.

Il n’y a jamais eu d’arbres sur le pont Caulaincourt mais pourquoi cette lubie tardive de rétrécir les trottoirs ? Trente-sept ans plus tard, faut-il persévérer dans l’erreur alors que, pendant la première mandature de Bertrand Delanoë, décision fut prise de ré-élargir les trottoirs de Magenta, aménageant une piste cyclable sur chacun des trottoirs élargis, plantant 300 ormes ?

 

Rétablir la largeur des trottoirs du pont à 3,50 mètres

Depuis quelques années, en tant qu’association, nous demandons, que la réhabilitation du pont Caulaincourt s’accompagne d’un élargissement des trottoirs, revenant à la largeur d’origine. Nous avons ainsi déposé un projet de budget participatif en ce sens, retoqué par la mairie de Paris. Les trottoirs, qui ont été protégés de la chaussée par des barrières, sont en effet trop étroits pour le flux des piétons très nombreux à l’emprunter chaque jour : tous ceux qui habitent de ce côté de Montmartre et qui vont prendre le métro à la place de Clichy, qui le remontent le soir, découragés par les bus 95 et 80 souvent bondés ; et les centaines des touristes qui, de la place Clichy, partent visiter la Butte. De ce fait, cet axe est très fréquenté par des piétons dans les deux sens. A certaines heures, c’est dense comme dans les couloirs de correspondance du métro. Peut-on imaginer un trottoir montant et un descendant, avec un système de contrôle vidéo pour sanctionner les contrevenants « façon Chine pop »… ?

 

Construit pour relier la place de Clichy  à la Butte Montmartre côté ouest, le pont  a été conçu pour les véhicules hippomobiles, le tramway et les piétons nombreux à l’emprunter dès l’origine. Tout comme aujourd’hui !

 

 

Un simulacre de concertation

En mars dernier, à la toute fin d’une réunion, bien discrète, du Conseil de Quartier Grandes-Carrières, nous avons appris incidemment que des travaux étaient envisagés sur le pont Caulaincourt. Chic ! Pour nous, il ne pouvait s’agir que d’élargir les trottoirs : nous avions (enfin !) été entendus.

Pas du tout : le projet étudié par la mairie du XVIIIe consiste à aménager des pistes cyclables sur le pont. La priorité, à nos yeux est bien plutôt d’élargir les deux trottoirs. On nous objecte d’abord que cela ne serait pas possible car câbles et tuyaux cheminent sous les trottoirs. Soyons sérieux : en quoi cela empêche-t-il de les élargir ? Sans toucher aux trottoirs actuels, il ne doit pas être bien difficile d’« ajouter » 1,50 m dans la parfaite continuité du trottoir existant.

Des travaux ont été effectués sur la chaussée du pont du 2 au 26 avril : rabotage de la chaussée, réfection des caniveaux et des joints, pose du nouvel enrobé, marquage au sol. La priorité était de renforcer les structures du pont bien fatiguées.

Avant tout débat, la mairie anticipait les résultats d’une réunion publique. Cette réunion préau d’école, qui s’est tenue le 16 mai, a consisté en la présentation du projet d’un Axe Vélo « Poteau-Damrémont-Caulaincourt ». Seuls choix proposés à la centaine de participants : quelle portion de la rue du Poteau sera mise en sens unique nord-sud ? Deux pistes cyclables ou une seule avec végétalisation du trottoir ? On prend les paris… Pas question d’élargir les trottoirs du pont Caulaincourt, priorité aux pistes cyclables… Surprenant non ? L’argument : certes pour les piétons, c’est inconfortable mais pour les cyclistes c’est dangereux. Les travaux commenceront après les JO et pourraient être terminés l’été 2025. Le premier résultat de l’installation des pistes cyclables serait de gêner la circulation des bus 80 et 95, compliquant un peu plus la vie des usagers (les exemples abondent dans Paris). Ce serait aussi d’interdire l’élargissement des trottoirs, même à terme.

 

 

Priorité aux cyclistes ou aux piétons : les éléments du choix !

Quelques réflexions pour nourrir le débat sans opposer les différents modes de déplacement. Depuis une vingtaine d’années, la part des 4 roues motorisés dans les déplacements a beaucoup baissé : quel Parisien utilise encore sa voiture pour aller de Montmartre à Opéra, Etoile ou Montparnasse ? On n’est plus dans la voiture-plaisir mais dans la bagnole-contrainte. La grande majorité des véhicules – c’est particulièrement vrai rue Caulaincourt – sont immatriculés en banlieue. Et pourtant, nombre d’artisans domiciliés en banlieue refusent d’intervenir dans nos quartiers, découragés par les problèmes de circulation et de stationnement. Le maire de Bordeaux se proposait d’écœurer les automobilistes : à Paris, c’est gagné alors que le système des transports publics se dégrade, particulièrement les bus.

 

Les cyclistes sont devenus… les rois du pétrole

Si les déplacements en voiture ne comptent plus que pour 4,3 %, la part des déplacements à vélo a augmenté depuis 2020. C’est bien le moins : avec la multiplication des pistes, les cyclistes sont devenus, si l’on peut dire, les rois du pétrole. Mais si 11 % des déplacements intra-muros se font à vélo, 53 % se font à pied*. Ce rapport de 1 à 5 est vraisemblablement plus élevé encore sur le pont Caulaincourt. Puisque le pont n’est pas extensible, se pose la question : qui privilégier dans la répartition de l’espace ?

 

 

Les usagers des bus et les piétons, qui souffrent le plus de la généralisation des pistes cyclables, ont un handicap : ils ne sont pas organisés en lobby !

 

 

S’ajoute une réflexion : qui est le plus fragile et doit être le mieux protégé ? Accidentologie d’abord : selon la Préfecture de police, le nombre des accidents de « personnes circulant avec engins à mobilité douce », soit vélos et trottinettes, est passé de 978 en 2019 à 1 478 en 2022. Conséquence sans doute de la progression de ce type de déplacements mais aussi du mauvais comportement de certains : les piétons peuvent témoigner que la majorité des cyclistes grillent allègrement les feux rouges. La police municipale, habilitée à verbaliser n’en peut mais, les vélos n’étant pas immatriculés... Et nous connaissons tous de ces cyclistes d’avant les coronapistes, présentées alors comme provisoires, apparues à la veille du second tour des élections municipales du 30 juin 2020. Ces cyclistes d’antan disent hésiter à continuer à se déplacer à vélo, accablés par le comportement de nombre de néo-cyclistes et des adeptes de ces nouveaux engins de mobilité personnelle.

Ils assurent que plus il y a de cyclistes sur la chaussée (et non sur une piste cyclable en site propre) plus leur sécurité s’améliore, tout simplement parce que les automobilistes s’habituent à en côtoyer. Et de l’aveu des cyclistes d’antan, les pistes ont un gros inconvénient : elles sortent les cyclistes du champ de vision des automobilistes, et les y remettent « brutalement » dans les carrefours.

Quant au nombre de morts, on en déplore 24 à Paris en 2022 : qu’on se rassure, 18 étaient des piétons.

 

Une touche de morale civique : privilégier les plus fragiles ?

Les plus fragiles ne sont certes pas les automobilistes.

Les cyclistes sont dans leur grande majorité des hommes de moins de 40 ans. Pas vraiment fragiles, pas toujours respectueux envers les piétons.

Les piétons, c’est un peu tout le monde, c’est surtout la grande majorité des citoyens. En cas de choc, ils ne sont pas protégés.

Les usagers des bus, ce sont des piétons qui peuvent avoir des difficultés à se déplacer et à emprunter les escaliers du métro : des personnes pas très jeunes, ou très chargées, qui d’un chariot, qui d’une poussette, ou même les personnes en fauteuil (les bus sont équipés pour leur permettre d’accéder à bord). Sauf que usagers des bus et les piétons, eux, ne sont guère organisés en lobby !

Que faire alors ? Remettre sans cesse la question sur le  tapis.

Qui sait ? Dans deux mois, dans deux ans…

Ferdinand Larminach

* Chiffres provenant de l’Institut Paris-Région et publiés par la mairie de Paris  le 4 avril 2024

Date de publication : 
16 juillet 2024