"Avenue de Saint-Ouen, je me souviens..." Madame S.

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La Fourche au début du XXe siècle

Ces souvenirs sont ceux de mon enfance avenue de Saint-Ouen de 1936 à 1942.

J'étais petite.

Je me souviens des bruits, des odeurs, des mouvements, un peu moins des gens : certaines personnes m'ont marquée, on m'a fait aussi de nombreux récits que je garde en mémoire. Mais ce qui m'a construite, c'est mon enfance au Papillon, avenue de Saint-Ouen. Le Papillon était un café ouvert tous les jours. S'y rencontraient les vendeuses des commerces d'alimentation, et aussi parfois des dames de petite vertu. Tous ceux qui passaient étaient des amis de la famille. Ils veillaient à l'honneur de la maison et Hélène la Rouquine, Fernande, Marie La Boiteuse gardaient les enfants.

 

Le Papillon, avenue de Saint Ouen

Il y avait bal musette au Papillon le vendredi, le samedi, le dimanche. On entrait dans la salle de bal qui comptait 50 places en passant par le café. Une estrade était dressée au fond pour les musiciens. Le café avait ouvert dans les années 20 et fut fermé en 1942. La première propriétaire fut "Mémère Bens", Clotilde, avant qu'elle ne le cède à son gendre, mon oncle Alfred Chala. Il se tenait au 20 - de l'époque - de l'avenue de Saint-Ouen.

Les boutiques voisines étaient le restaurant Ver, qu'on disait être un restaurant communautaire - on y faisait des menus ouvriers - , puis le charcutier Raulin (qui devint la charcuterie Drahonet),  où travaillait ma mère et plus loin, en remontant l'avenue, le boucher Dauvin.

Le passage du Lavoir était plus bas que la rue Fauvet : il y avait un garage, des commerces, un café et réellement un lavoir - comme dans les romans d'Emile Zola.

Au 24 - de l'époque - autour d'une grande cour, les logements étaient desservis par un escalier et une coursive. C'est là que vivait la mère Doudou, personnage singulier. Elle buvait. Elle était malade. On racontait qu'elle avait étouffé son bébé un jour qu'elle "cuvait" plus lourdement que d'habitude. Pour l'enterrement du bébé elle avait voulu teindre une robe en noir. Mon amie d'enfance et moi, avec qui je trainais partout dans le coin, sommes allées dans la cour; nous avons trouvé une robe qu'elle avait mis dans un grand baquet en zinc. Nous avons pris un bâton pour remuer le bain. On a soulevé le tissu noir et nous avons déchiqueté la robe.

 

Quel scandale au Papillon !

Il y avait aussi une petite cour où Mr Bernelin, fabricant de caramels tenait commerce. Il moulait le caramel tout chaud sur une table de marbre et tout ce qui dépassait du moule était pour les enfants du coin. Tous les soirs, revenant de l'avenue de Clichy, les marchandes de 4 saisons y remisaient leurs voitures. Nenette, la marchande de fleurs avait un superbe tablier plissé. Dans cette cour travaillait aussi un étameur, Toto, un ancien coureur cycliste qui nous virait quand on lui cassait trop les pieds.
Au fond, il y avait des ateliers de scupteurs :  enfants curieux nous allions voir les statues inachevées ou ratées et restions impressionnés par celles à qui il manquait ou une tête ou un pied ou un bras.

 

Les odeurs de l'avenue...

C'est celle confuse, surtout en été, où se mêlait celle du caramel chaud et celle des fruits trop mûrs. De la cuisine, derrière la boutique du "Cours des Halles, fruits légumes", chez Labrune, parvenait une bonne odeur de soupe aux poireaux et de compote de pommes. Madame Rocher, la fleuriste habitait après la petite cour, là on était pris par une forte senteur qui rappelait celle des cimetières. Puis juste après, une confiserie avec ses parfums de sucettes et de bobons stocké dans de grans bocaux multicolores.

Au 28, habitait ma meilleure amie. Elle vivait dans une pièce unique dans un hôtel au mois avec ses parents. Sa mère était flamande et son père Nigérian. Musicien de métier il avait travaillé avec Joséphine Baker au Casino de paris. Dans cette petite pièce, s'empilaient sur une commode des livres et des livres. C'est là que j'ai pris goût à la lecture en commençant  par les Claudine de Colette et les traduction des romans des soeurs Brontë.

A côté du 28, il y avait un Italien. Il avait un étalage dehors, et grande était notre tentation de chaparder, aux heures creuses, des biscuits dont des "biscuits de soldats" immangeables. Un jour, à la grande honte de ma mère, j'ai du rapporter un de ces biscuits. Toussaint son voisin était marchand de couleurs et la crèmerie, Lauzet était dans cette petite bâtisse, juste avant la cité Pilleux. Elle est maintenant fermée.

La cité Pilleux, était un ensemble d'ateliers qu'on pouvait traverser. A son entrée de la rue Ganneron, il y avait un café, tenu par un Corse. C'était loin pour nous.

 

Bal au Papillon

On dansait au bal musette du Papillon le vendredi soir, le samedi soir et le dimanche. Ce qui nous amusait le plus, nous les enfants, c'était de voir le bal et les gens danser et se rencontrer. Ce n'était pas un bal mondain mais un vrai bal musette.

Mes parents avaient leur appartement, relié par un escalier, à la salle. Mon père avait pris l'habitude d'ouvrir le bal en dansant avec moi. Immédiatement après ma mère me couchait. Mais , évidemment, je me relevais avec mon petit frère et nous nous asseyions sur une marche pour regarder les gens danser.

Mon père était au comptoir et ma mère à la caisse. Mon oncle Alfred,qui avait perdu un bras à la guerre de 14 était resté assez adroit pour passer par dessus le comptoir afin de "vider" les trouble fête.Venaient souvent Hélène la Rouquine, Fernande, Marie la Boiteuse et puis des femmes encore plus libres, enfin à la liberté tarifée. Quelques presque mauvais garçons, peu amateurs de danse, P'tit Louis, Paulo le Riche qui avait un diamant incrusté dans les deux dent du haut, devant, Dédé les Mirettes Bleues qui s'était évadé de Fresnes en utilisant la voiture du directeur de la prison faisaient ceux qui surveillaient. Puis, il y avait aussi le Petit Breton - serait-ce Auguste Le Breton qui a parlé du quartier, du bal dans un des ses livres "Les Pégriots"?

Des petits voyous remontaient de la Zone, de la porte de Saint-Ouen. Il essayaient de "faire le bazar" en insultant les gens, les patrons surtout qui voulaient les faire payer. En effet, mon père vendait des jetons à chaque fois que l'on voulait danser et il passait entre les couples, pendant la danse, pour les récupérer. Ces bandes ne revenaient plus une fois qu'on avait mis les choses au point.

Venaient bien sûr les employés de l'avenue de Clichy, les vendeuses des magasins et les habitants du quartier.

 

On passe au Papillon

Bouboule conduisait le "L" ancêtre du bus 81. Quand il passait devant le café, il klakxonnait et ma mère allait vite lui porter un verre de vin blanc, pas à chaque passage évidemment. Le livreur de glace, manchot de la première guerre, faisait ses livraisons à la maison en portant les pains de glace avec son crochet, ce qui m'effarouchait fort et suscitait la profonde antipathie du chien qui courait après lui presque jusqu'à la porte de Saint Ouen. On voyait aussi passer l'homme orchestre qui rentrait boire un petit coup. Il avait partout tambours, tambourins et grelots. Pourtant il faisait peur car autrefois, une femme jalouse l'avait vitriolé et défiguré. Avant guerre se réunissait là, des membres de la police nord africaine composée de maghrébins.

Et puis se rencontraient pour quelques instants des habitués et des habitants du quartier.

En 1940, retour d'exode, le bal a fermé. Le café a été mis au nom de ma mère car mon père était juif.  Mes parents eurent recours à des combines pour allèger les contraintes de la pénurie, comme celle de distiller du pastis dans la cave, pastis dont les Allemands étaient friands. Le Papillon a fonctionné, mais mal jusqu'à la fin décembre 1942.

C'est juste après que mon oncle a pris la décision de vendre.

Propos recueillis par Philippe Limousin

Date de publication : 
20 juin 2014