Un siècle d’avatars pour la statue de Charles Fourier

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Débarrassée de ses affiches et de ses tags, la "pomme" de Charles Fourier a repris de l'allure !

La vie d’une « œuvre d’art » dans l’espace public n’est pas toujours un long fleuve tranquille. En témoigne le destin tourmenté de la statue érigée en souvenir de Charles Fourier à l’extrémité ouest du boulevard de Clichy. Une rénovation effectuée il y a quelques mois a tenté de lui redonner un peu de dignité. Las, un « uritrottoir » vient d’être installé à proximité. Une avanie de plus ?

 

Incongrue dans le paysage minéral, une pomme en inox de taille respectable interpelle habitants et touristes à l’extrémité est de la place de Clichy au départ du boulevard du même nom. Récemment rénovée –  elle avait passé les sept dernières années sur un socle en plexiglas coloré habillé d’affiches perpétuellement recouvertes et rarement nettoyé –, « l’œuvre d’art » n’intrigue même plus. Qui sait aujourd’hui qu’elle veut célébrer un philosophe et économiste français de la première moitié du XIXe siècle, classé « d’utopiste » par ceux qui en ont entendu parler un peu trop rapidement ?

Le dictionnaire « Le petit Robert » trace de Charles Fourier (1772-1834) un portrait qui n’a rien de triomphaliste. La notice, d’une quinzaine de lignes, conclut que « son projet de phalanstère (qui) doit avoir pour résultat l’harmonie universelle (…) ne put se réaliser, mais le fouriérisme eut des adeptes. »

Des adeptes, il s’en trouve en tout cas un demi siècle après sa mort puisque, en 1899, un monument à Charles Fourier est érigé au tout début du boulevard de Clichy, sur le terre-plein central juste en face de l’Hippodrome de Montmartre, à deux pas du cimetière Montmartre où il est enterré. Juché sur un socle de granit de 2,5 m de haut, un Charles Fourier de bronze, de son fauteuil, regarde la place. La statue a été financée par une souscription populaire – le fouriérisme avait donc des adeptes. Sur le socle, une plaque est apposée où on peut lire : « Association du capital du travail et du talent, Charles Fourier, révélateur des lois de l’harmonie universelle par l’association intégrale. »

En 1941, le régime de Vichy déboulonne et fait fondre la statue de Fourier, comme il le fait de bien d’autres. Pendant des décennies, le granit reste nu, la plaque est même enlevée. Pourtant, en deux occasions, le socle est réoccupé.

En mars 1969, un groupe situationniste installe une réplique en plâtre de la statue « en hommage à Charles Fourier, les barricadiers de la rue Gay-Lussac ». Hommage éphémère que la préfecture fait retirer après quelques jours.

En avril 2007, un Collectif aéroporté installe sur le socle une cabine téléphonique vide en verre, présentée comme « sauvage et originale, une sculpture d’1,2 tonne et de 5 mètres de haut », bientôt équipée d’un escalier métallique. « Le volume de verre souligne l’absence : un escalier incite les passants à accéder au sommet du socle et à remplir l’espace. » Des touristes se photographient dans la cabine.

L’objectif du collectif semble avoir été aussi d’interpeller la mairie de Paris.

Pari réussi : en juillet 2007, la Ville lance un concours destiné à (re)créer le monument à Fourier. Il est remporté par Franck Scurti qui propose de poser une pomme en acier sur le socle vide, référence à une théorie de Fourier sur « la quatrième pomme » qu’on n’exposera pas ici. Des esprits chagrins voient là le logo d’une multinationale de l’informatique –  on ne parle pas encore de GAFA. Le socle est habillé d’un cube de plexiglas de plusieurs couleurs, on évoque les différentes couleurs du prisme, hommage à Newton (l’une des quatre pommes) qui a lui aussi des adeptes, comme on souligne l’opposition du cube et de la sphère, de la transparence et du reflet…

L’objet d’art est inauguré le 10 janvier 2011 : déCLIC 17/18 est présente. Dans sa transparence colorée, l’ensemble est plutôt plaisant mais l’habillage du socle paraît fragile, si fragile.

 

Sept ans d’affronts

Dès la fin du mois de janvier, sur un site de commentaires, un internaute alerte : « La pomme va vite être dégradée par les tags, les autocollants et autres vandalismes modernes. » Un autre renchérit : « Je crains que, dans deux mois, cette nouvelle œuvre, recouverte comme la précédente de stickers et de gravures, ne soit redevenue le jouet de la populace qui ne respecte rien. » Bien vu, ces augures sont des Cassandres.

Les affronts se multiplient et, bien vite, c’est pire encore…

La mairie de Paris avait vu là « une sculpture qui s’inscrit dans la logique économique de Fourier, ennemi de la spéculation et promoteur d’une économie où la production et l’accomplissement humain se rejoignent ». Soit. Mais Fourier, pas plus que la mairie de Paris, n’ont anticipé la fragilité du plexiglas, certes chatoyant mais fragile, si fragile…

En proposant un matériau à la fragilité reconnue, le plexiglas qui, d’évidence, ne pouvait « tenir » bien longtemps en un lieu marqué par la fête, où passent quotidiennement des milliers de personnes, on peut imaginer chez le créateur le désir de surprendre, étonnez-moi Benoit, un jury courant derrière la modernité, animé par la volonté de faire jeune et advienne que pourra.

En 2007 pourtant, le plexiglas qui avait été le matériau des années 1960, à l’image des balcons des « résidences pour cadres » construites sous Georges Pompidou avait pris un coup de vieux !

De la part des élus, décideurs, on aurait souhaité qu’ils aient aussi le sens des réalités.

Assez vite, seules les affiches apposées par des promoteurs de spectacles sécurisent les fentes du plexiglas coloré façon Newton.

Cela dure un peu plus de sept ans. Régulièrement, nous alertons les élus, le monument étant situé à l’exacte limite des IXe et XVIIIe arrondissements.

Et puis, à l’automne 2018, à bas bruit, la cage de plexiglas, ou plutôt ce qui en reste, est retiré.

C’est mieux. Jusqu’à ce que, avec l’arrivée du printemps, un « uritrottoir » d’un beau rouge fraise, aussi inutile qu’impudique, ne vienne ajouter un affront à l’affront. Charles Fourier a le droit de se retourner dans sa tombe !

Philippe Limousin

André Breton sur Fourier
Mais on ne saurait trop complimenter les édiles
De t'avoir fait surgir à la proue des boulevards extérieurs
C'est ta place aux heures de fort tangage
Quand la ville se soulève

...............

Et toi rien ne t'eut fait détourner les yeux des boues diamantifères de la place Clichy

Date de publication : 
18 juillet 2019