A la rencontre de Magnum Photo

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Voilà presque deux ans, la célèbre agence Magnum Photos installait son nouveau siège social parisien rue Hégésippe Moreau dans une ancienne usine de lingerie. L’immeuble, à deux enjambées du cimetière Montmartre et de la Place de Clichy, réorganisé de fond en comble, abrite désormais les activités de l’agence, compétente pour tout le continent européen à l’exception des Îles Britanniques.

 

Pour les amoureux de la photographie et tous ceux qui gardent le souvenir mythique des lumières étincelantes de la Place de Clichy, la nouvelle résonne comme un présage, non pas nostalgique, mais heureux d’une rencontre renouvelée de ce quartier avec l’image. Raison de plus pour donner à connaître le joyau de notre mémoire collective et l’outil moderne et efficace qu’est depuis 1947 l’agence Magnum Photos.

 

Une organisation originale

L’agence fondée par Robert Capa, Henri Cartier- Bresson, Maria Eisner, George Rodger, David Seymour et William Vandivert possède la forme d’une S.A.R.L., tout en fonctionnant sur le mode d’une coopérative. Initialement basée à Paris et New York, possédant depuis des bureaux à Londres et Tokyo, elle s’organisa selon un principe véritablement révolutionnaire : les photographes membres de l’agence sont propriétaires de leur outil de travail, de leurs négatifs et de leurs originaux, décident de leurs sujets de reportage et de travail, sélectionnent eux-mêmes les photographies à diffuser et s’attachent à établir leurs droits d’auteur sur leur production.

Cette nouvelle organisation, en opposition au statut de photographe-salarié d’un magazine d’images comme Berliner Illustrierte Zeitung, Life, Vu, Picture Post, Time ou National Geographic, à qui l’on assigne contenu de son travail, durée d’éxécution et salaire, les négatifs, leur utilisation, les droits dérivés restant propriété du journal, garde tout son intérêt alors que numérisation photographique, Internet et copyright font l’objet de batailles planétaires, de concentrations capitalistiques et de longs débats diplomatiques. C’est ce mode d’organisation visionnaire que défend continûment l’agence Magnum Photos au bénéfice de tous ses membres.

Si les personnalités extraordinaires qui ont présidé à la création de cet outil unique ont très tôt affirmé par l’excellence de ses premiers membres (Werner Bischof, Ernst Haas, Eve Arnold, Burt Glinn, Erich Hartmann, Erich Lessin, Marc Riboud, Dennis Stock, Kryn Taconis) le caractère prestigieux des productions de Magnum Photos, l’agence poursuit par son mode de recrutement la recherche de sa remarquable exception.

 

Une soixantaine de photographes

Comprenant aujourd’hui une soixantaine de photographes, dont certains habitent le XVIIIe, comme Abbas, Luc Delahaye, Jean Gaumy, l’agence, car elle est leur propriété collective, chaque membre plein possèdant une voix et une part sociale de son capital, a instauré un processus sévère de sélection de ses nouveaux membres. Lors de la réunion annuelle de tous ses membres, pendant laquelle sont discutées les questions générales de l’administration de la société, sont présentés les portfolios des candidats potentiels ; les candidats reçus après un vote deviennent "nominee member" et, sans obligation réciproque d’aucune sorte, sont invités à se familiariser avec l’agence.

Deux ans après, ces "nominee members" présentent à nouveau leurs travaux pour acquérir la qualité d’"associate member" (membre associé) ; en cas de succès, liés aux règles de fonctionnement de l’agence, ils bénéficient de tous ses services mais sans pouvoir participer au vote concernant la gestion de l’agence. La qualité de membre à part entière s’acquiert à l’issue d’une période de deux ans et une ultime présentation de leurs travaux : elle vaut pour tous les aspects du fonctionnement de l’agence et aussi longtemps que le photographe le désire. À ce jour, aucun photographe de Magnum n’a jamais été exclu ni invité à partir.

Cet élitisme démocratique a produit les essais photographiques les plus marquants du XXe siècle : reportages classiques de Robert Capa ou Henri Cartier-Bresson, essais photographiques mondialement célèbres tels celui de Philip Jones Griffiths Vietnam Inc. ou celui de Josef Koudelka Gipsies (LesGitans), jusqu’auxtravaux récents de Gilles Peress sur la crise du Kosovo, deux essais photographiques de David Alan Harvey sur Cuba, le reportage sur la chrétienté à la fin du XXe siècle d’Abbas.

Ce ne sont là que quelques exemples de l’abondante production des photographes de Magnum, travaillant sur des sujets par eux choisis, parfois pendant plusieurs années, ou répondant aux de- mandes des plus grandes compagnies publicitaires ou éditoriales.

 

Un million de clichés

Aujourd’hui, Magnum Photos dispose d’une banque d’un peu plus un million de clichés photographiques, en noir et blanc ou en couleurs, datant des années 1930 jusqu’aux premiers mois de l’année 2001, disponibles en tirage ou en fichiers numérisés. Et, avec plus d’un demi-siècle d’histoire condensée de l’aventure humaine dans ses cartons et ses disques durs, l’agence a développé une abondante activité éditoriale (32 ouvrages parus en 2000), une compétence reconnue d’organisation d’expositions temporaires en collaboration avec les musées et les galeries les plus célèbres de la planète.

Elle accueille aussi les chercheurs et s’ouvre à toutes leurs curiosités. Outre ces activités d’archivage et de mise en valeur du fond Magnum, l’agence se charge chaque jour de la vente des clichés, du respect scupuleux par les éditeurs du droit des auteurs, à la fois juridique, moral mais aussi artistique - le droit de reproduction d’une photographie n’autorise pas à recadrer ou retoucher le cliché -, toutes activités qui absorbent une somme inouïe d’efforts et de combats. Ainsi, ce sont trente cinq personnes qui, à temps plein, travaillent à Paris pour poursuivre l’utopie créatrice des fondateurs.

Que Paris accueille cette entreprise originale, l’histoire nous l’explique sans doute. Mais la photographie a vécu avec le tournant du millénaire unemutation radicale.D’abord, parceque la photographie attire désormais les collectionneurs et les investisseurs, certains diront les spéculateurs. Il existe désormais un marché, des salles de ventes, des fortunes pour acquérir des clichés historiques, des portfolios voire des collections entières. Des amoureux des premiers jours, tel Roger Thérond, donnent à voir leurs collections particulières.

 

La photo entre au musée

Amassées patiemment, des musées s’ouvrent. Cet art si particulier de l’instant volé à la vie éphémère intéresse de plus en plus le grand public, comme en témoigne le succès en l’Hôtel de Sully de l’exposition sur la guerre civile espagnole - et Robert Capa n’est-il pas nos yeux, notre cœur et notre déchirement d’âme ? - ou encore, de cette présentation des photographes hongrois Kertesz et Detvay à la Maison Européenne de la Photographie, révélant ou rappelant en cette année de la Hongrie en France, que l’Europe vit aussi dans ces pays pas si lointains que nous avons désappris mais que tout nous rend proches.

La presse délaissant la photographie d’auteur originale ou se fournissant directement auprès des grandes agences de presse, les agences historiques de photojournalisme comme Sygma ou Gamma, sont devenues la propriété de groupes comme Hachette ou Corbis-Microsoft et Sipa, la dernière indépendante, est rachetée par le groupe Pierre Fabre.

S’opère ainsi le basculement géographique des grandes agences d’images, de son lieu de naissance historique, Paris, vers la côte ouest d’Amérique du Nord, Seattle, siège de Corbis et de Getty Corporation. Le défi de la numérisation et la mise à disposition des images sur la Toile mobilisent de tels moyens financiers que peu d’agences parviennent à l’équilibre et doivent perdre leur indépendance. Ainsi devine-t-on que le combat de Magnum Photos pour une éthique et un droit véritables des auteurs-photographes ressortit in fine d’une autre vision du monde, une Weltanschauung modelée au creuset de cette Europe d’avant la Seconde Guerre Mondiale, qu’un David Seymour, né à Varsovie, formé à Leipzig et Paris, même devenu citoyen des États Unis d’Amérique, allait au cours de tous ses reportages, plus européen que tous les européens réunis, nous donner à comprendre, sans doute des décennies avant tous les autres ?

Bref, c’est bien un enjeu de civilisation, et il suffit d’y aller voir, que Magnum Photos défend.

Depuis Paris, au cœur de notre quartier.

Souhaitons plein succès à cette aventure humaine.

Que tous ses projets, présents ou à venir, reçoivent le meilleur accueil de la Ville-lumière !

Date de publication: 
9 janvier 2018