De la coronapiste provisoire à la piste cyclable XXL

Message d'erreur

Deprecated function : Optional parameter $path declared before required parameter $langcode is implicitly treated as a required parameter dans include_once() (ligne 1439 dans /var/www/vhosts/declic1718.org/httpdocs/includes/bootstrap.inc).

Un matin de juin 2020, les habitants de nos quartiers ont découvert, de la place Clichy à la porte de Saint-Ouen, au milieu de la chaussée, une large voie réservée aux cyclistes. Dix-huit mois plus tard, ces pistes présentées comme provisoires ou éphémères vont être pérennisées. Elles ont récemment quitté le milieu de la chaussée pour être installées le long du trottoir côté XVIIIe. 

 

C’est au prétexte de l’urgence sanitaire que ces pistes cyclables furent si vite réalisées, une urgence qui interdisait toute concertation. D’où le nom de « coronapistes ». Et, des affiches retrouvées en témoignent (notre photo), la mairie de Paris présente ces coronapistes comme une alternative à l’entassement mortifère dans les transports publics. Dans notre quartier, elles veulent constituer une alternative à la ligne M13 ou au moins un moyen d’alléger sa fréquentation.

De la place Clichy à la porte de Saint-Ouen, le coût de l’opération aurait été de 100 000 €. L’urgence – on parlait alors d’urgence sanitaire – n’avait pas permis de passer par un appel d’offres.

Dans la deuxième quinzaine de juin 2020, nous avons procédé à plusieurs comptages des passages de vélos dans le haut de l’avenue de Saint-Ouen, toujours de 18 à 19 heures, dans les deux sens, montant et descendant. Sur cette coronapiste toute neuve, à un horaire de sortie du travail, par beau temps, circulaient entre 160 à 200 vélos par heure. Dans le même temps, sur la branche Est de la ligne M13 passe une trentaine de rames dans les deux sens. Ainsi, 160 à 200 cyclistes, c’est l’équivalent des voyageurs transportés dans deux ou trois wagons d’une seule rame M77 qui offre 522 places dont 144 assises.

Petits arrangements avec la vérité

Pourquoi avoir ainsi travesti les faits, pourquoi jouer sur l’inquiétude légitime envers le COVID pour faire passer en toute urgence ce projet de piste cyclable ? La période politique pourrait l’expliquer.

Après un premier tour des municipales le 30 mars à la veille du premier confinement, boudé par les 2/3 des inscrits et peu avant un second tour annoncé pour le 30 juin – il sera plus boudé encore – les listes d’Anne Hidalgo, avec 30 % des votants, avaient perdu 10 points par rapport au premier tour des municipales de 2014. Il faudra céder beaucoup aux listes EELV (10 % des votants) pour espérer trouver une majorité au second tour.

Au deuxième tour, récoltant les suffrages de 48 % des votants (donc 17 % des inscrits), cette majorité ne sera que relative. Elle est parfaitement légitime et ses concurrents ont obtenu moins encore. On pouvait s’attendre toutefois, qu’avec de tels résultats, la municipalité ainsi reconduite avancerait avec précautions, consultant, concertant, avant de lancer des projets qui divisent.

Il n’en fut rien et la maire de Paris concéda la gestion des transports et de la voirie à ses alliés EELV : on parla de « transformation de la voirie ».

En juillet 2020, constatant les effets secondaires de l’installation de ces coronapistes, nous avions alerté un conseiller de Paris fraîchement élu que nous avions reçu en février au siège de déCLIC 17/18 comme la plupart des têtes de liste des XVIIe et XVIIIe arrondissements. Sa réponse fut : « Il ne vous a pas échappé que nous avons été élus… » Légitimes certes, mais peut-être pas pour faire n’importe quoi et n’importe comment.

Nous lui avons-rappelé le score de son organisation au premier tour des municipales : 4 % des inscrits.

 

Des effets secondaires délétères

Agir à la hussarde, sans concertation, sans réflexion peut-être, génère souvent de néfastes conséquences. Ainsi, depuis juin 2020 sur l’avenue de Clichy de la place à La Fourche, une large partie de la chaussée étant occupée par cette coronapiste réservée aux vélos et aux trottinettes, une seule voie restait disponible dans le sens descendant pour les bus, les voitures, les 2-Roues motorisés et les camions de livraison. Aux heures de pointe, les bus 21, 54, 74, trente bus dans chaque sens à chaque heure, mettaient plus de dix minutes pour parcourir 400 m. Et, avenue de Saint-Ouen, le bus 21 descendant mettait fréquemment plus de 30 min pour rejoindre l’hôpital Bichat, la porte de Saint-Ouen étant structurellement embouteillée (cela reste vrai quinze mois plus tard).

Nous n’avons pas manqué de le signaler : lettre à la mairie de Paris, sans réponse, copies aux maires des XVIIe et XVIIIe arrondissements. Le 21 septembre, le conseil d’arrondissement du XVIIe adoptait un vœu demandant notamment un bilan d’expérimentation du dispositif avant sa pérennisation, précédé d’une lettre de Geoffroy Boulard à Anne Hidalgo dénonçant toute une série de retombées négatives pour nos quartiers. Le maire du XVIIe eut-il droit à une réponse ?

 

Supprimer la circulation des voitures avenue de Clichy : une fausse bonne idée

Pour permettre une meilleure vitesse des bus sur ce tronçon où les bus sont en concurrence avec les autres usagers de la route et les camions de livraisons, une solution parut lumineuse : après quelques semaines, de La Fourche à la place Clichy, les autos, motos etc, furent interdites sur l’avenue et réglementairement redirigées sur la rue Hélène puis la rue Lemercier vers la rue Biot fermée alors après 18 heures car déclarée piétonne ou la rue des Dames.

Résultat : les bus roulaient moins mal, les véhicules à moteur polluaient un peu plus dans cet itinéraire rallongé aux rues étroites qui n’ont pas été prévues pour absorber un tel trafic.

Les résidents du secteur voyaient leur trajet gravement rallongé pour rejoindre un parking pourtant proche de leur domicile. Les artisans hésitaient encore plus à se déplacer dans un secteur où, pour rejoindre deux points distants de 500 mètres, il fallait parfois rouler deux kilomètres. Les livraisons bloquaient un peu plus, les terrasses « éphémères » occupant la plupart des zones dédiées.

Cette situation était la même partout dans Paris où ces premières coronapistes ont été installées. La presse parisienne citait la porte de La Chapelle ou le secteur Alésia. La presse mondiale s’apitoyait, goguenarde, sur l’état de la rue de Rivoli désertée par les voitures et sur ses coronapistes vides.

Et alors ? Alors rien, pendant plus d’un an !

Il fallut attendre le 28 juin 2021, 55 semaines après le début de l’installation des coronapistes, pour que, à la mairie du XVIIIe, Antoine Dupont, adjoint à la transformation de la voirie, reçoive des élus du XVIIe, quatre adjoints au maire du XVIIe et un conseiller de Paris, trois associations de cyclistes, et déCLIC 17/18.

Lors de cette réunion, deux représentants de la DVD (Direction de la voirie et des déplacements) ont présenté les dessins d’architectes de la version actuelle des coronapistes, provisoires depuis juin 2020, Antoine Dupont reconnaissant que « la piste axiale n’est pas ce qui fonctionne le mieux, spécialement pour les bus ». Et présentant le projet de pérennisation de ce provisoire qui a duré. Il semble bien bouclé – la réalisation a commencé mi-novembre dans le plus grand désordre ! – les pistes pérennisées, étant, de la place Clichy à la porte de Saint-Ouen, déplacées le long des trottoirs côté Est, les cyclistes empruntant dans l’autre sens la voie des bus.

Cette réunion fut l’’occasion pour déCLIC 17/18 de rappeler combien les usagers des bus ont été maltraités avec l’installation des coronapistes, dans nos quartiers mais également rue d’Amsterdam où la mairie de Paris a profondément modifié la circulation au profit des seuls cyclistes.

Et c’est au début de l’automne que se sont tenues, enfin, deux réunions publiques, en mairie du XVIIe puis en mairie du XVIIIe. Les citoyens ont eu l’occasion de s’exprimer en présence de David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie.

De Vauvenargues à Damrémont et jusqu’au tram T3b

Une délégation de résidents de la rue Vauvenargues témoigna de l’embouteillage de la rue depuis que les véhicules ne sont plus autorisés à remonter l’avenue de Saint-Ouen, le flux étant stocké jusqu’à la voie du tram T3. Mêmes plaintes, mêmes encombrements mêmes bruit et pollution relevés par des habitants de la rue Damrémont. La mairie de Paris prend note.

DéCLIC 17/18, chiffres à l’appui, mit en cause la manipulation de la mairie de Paris en juin 2020 (il n’y a pas prescription), prétendant que l’installation de la coronapiste de la place Clichy à la porte de Saint-Ouen (alors présentée comme temporaire) avait pour but d’alléger la ligne M13. Dénonciation aussi des retards importants infligés pendant des semaines aux usagers des bus 21, 54, 74 entre La Fourche et la place Clichy et aussi, depuis juin 2020 à ceux des bus 21 et 95, la descente de la rue d’Amsterdam étant réservée aux (rares) cyclistes. Pas de réaction de la mairie de Paris.

Un quarteron de cyclistes présents se félicita des aménagements réalisés et déclara attendre la suite. Côté « Code de la rue », plusieurs intervenants ayant relevé que la grande majorité des cyclistes « grillent » le feu rouge, il s’en trouve un pour fanfaronner : « Je continuerai à le faire, même avec mes enfants ». Peu de réactions à la tribune côté mairie de Paris.

Geoffroy Boulard, maire du XVIIe, face à la caméra, brandit un document graphique représentant les multiples tours et détours auxquels est contraint un habitant du quartier pour se rendre en voiture à son parking pourtant bien proche : trajet multiplié par 3 ou 4 depuis l’installation des maxi pistes cyclables (déCLIC 17/18 avait publié ce type de schéma « Les gymkhanas d’un riverain » page 19 dans le Journal n°37 automne-hiver 2020). A la tribune, on frise l’incident diplomatique entre élus. Tôt le lendemain matin, on découvrait cette intervention sur le facebook de Geoffroy Boulard. Partager la voirie, le choix n’est pas simple.

Tant pis pour les Bus !

Paris change. Il est loin le temps où Jacques Chirac, en héritier de Pompidou, déclarait : « Les Parisiens veulent rouler, qu’on leur en donne les moyens ! », où l’avenue de Clichy était classée « Axe rouge » dédié à la voiture, cela a joué dans la dégradation de l’appareil commercial de l’avenue. Aujourd’hui, plus personne n’utilise sa voiture pour aller faire des courses boulevard Haussmann ou se rendre au cinéma aux Champs Elysées. Seulement 37 % des ménages parisiens posséderaient une voiture, sans forcément l’utiliser fréquemment : on s’en sert pour quitter Paris ou y revenir.

Entre 2002 et 2017, la circulation automobile dans Paris intra-muros aurait baissé de 34 %. La période récente n’a pu qu’amplifier cette tendance, et pas seulement parce que la population parisienne baisse, le nombre d’inscriptions dans les écoles à la dernière rentrée en témoigne.

Pour ceux qui restent, comment arbitrer entre les différentes demandes ? Si une capitale mondiale ne peut mener une politique d’exclusion envers l’automobile, l’objectif peut être de faire cohabiter les uns et les autres, en priorisant les plus fragiles, et d’abord les piétons et les utilisateurs de véhicules non motorisés, et en réaffirmant la priorité aux transports en commun.

Ce n’est pas simple. Certes, le vélo, c’est sympa et voilà bien longtemps que déCLIC 17/18 avait pris position pour l’installation des pistes cyclables, au risque de se faire taxer d’extrémisme par des élus revenus depuis à de meilleurs sentiments. Mais un certain nombre de piétons se disent menacés par les deux-roues, sur les trottoirs (voir le témoignage ci-contre) : trottinettes d’abord et vélos et aussi sur les passages piétons, même et surtout protégés par des feux tricolores.

 

Quelques calculs :
les chiffres sont têtus

La mairie de Paris se félicite de la croissance du nombre d’usagers de la bicyclette : on avance le chiffre de + 67 % en un an mais on dit aussi que l’été 2021 a connu une baisse de 20 % par rapport à l’été 2020.

Les usagers des bus, quant à eux, se sentent les victimes collatérales des pistes cyclables. On l’a vu entre La Fourche et la place de Clichy l’été 2020. On le voit jour après jour rue d’Amsterdam.

Les chiffres sont têtus : en semaine, les bus 21, 54, 74 se succèdent toutes les 6 ou 8 minutes. Soit 48 bus à l’heure dans les deux sens et 624 bus de 7 à 20 heures. En comptant 20 voyageurs par bus, ce sont près de 13 000 usagers par jour sur ce tronçon. L’association Paris en selle qui annonce « faire du vélo une évidence » compte, sur un an, une moyenne quotidienne de 2 792 passages de vélos sur un compteur situé au 20 avenue de Clichy.

Rue d’Amsterdam, les bus 21 et 95 ne passent plus, contraints à un long détour par les rues de Saint-Petersbourg, de Rome, Saint-Lazare (c’est là le pire) pour rejoindre la rue du Havre. Nos correspondants annoncent dix minutes de trajet en plus, d’autres parlent de vingt minutes. Cela concerne chaque jour autour de 10 000 usagers. Qu’importe, les vélos roulent ! Eh bien, pas tant que ça…

Paris en selle, faute de compteur, ne publiant pas de chiffres de fréquentation pour la rue d’Amsterdam, nous avons remonté à pied cette rue entre 18 et 19 h.

Lors de ces trajets de 8 à 10 minutes à cette heure de pointe, on compte moins de 10 cyclistes (les motos et scooters étant interdits, on ne comptera pas ceux, nombreux, qui fraudent).

 

Des raisons idéologiques

Alors, que faire ? Pour déCLIC 17/18 : retrouver le chemin de la concertation. Et reprendre le problème à la base en réunissant les différents usagers de l’espace public autour d’une réalité : la circulation de notre quartier a été profondément chahutée par les mises en sens unique – pour de bonnes raisons – des avenues de Clichy et de Saint-Ouen.

La décision d’affecter, pour des raisons essentiellement idéologiques, une large partie des voies de circulation à un petit nombre d’usagers est un manque de respect à tous ceux qui empruntent les transports en commun. Car, il faut bien le reconnaître, c’est un peu le combat de l’individualisme contre le collectif. Les usagers des bus, pas toujours jeunes, étant souvent munis d’un « Caddie », ou hissant une poussette, n’ont pas vraiment le profil des cyclistes - moins de 40 ans et presqu’exclusivement masculins. La mairie de Paris a fait son choix : privilégier les cyclistes et leur bonne conscience au détriment des usagers des bus qui subissent d’importants retards dans leurs déplacements.

C’est aujourd’hui la recherche d’un meilleur fonctionnement de ces derniers, le seul à même de pouvoir diminuer la place de la voiture, qui devrait guider les choix futurs.

Philippe Limousin

Date de publication : 
29 décembre 2021