Avenue de Clichy : comment en est-on arrivé là ?

Depuis 1978, la situation n'a fait que se dégrader !

On le sait, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pourtant, beaucoup vous diront que l’avenue de Clichy connut des jours meilleurs. On ne remontera pas aux années 1863–1875 quand, au café Guerbois (n°9) se réunissaient les peintres impressionnistes et Zola, ou quand le restaurant Jouanne (n°8) attirait le tout-Paris pour ses tripes à la mode de Caen. Mais au moins évoquons ce que fut l’avenue de Clichy jusqu’aux années 1970. Clichy, terre de contrastes, dans la mouvance du « Montmartre-Pigalle où l’on s’amuse » mais aussi artère principale d’un quartier où les habitants trouvaient les commerces dont ils avaient besoin : vêtements de qualité, belle maroquinerie, charcuterie, crèmerie...

 

Dans l’annuaire téléphonique de 1978, nous relevons les noms de quelques uns de ces commerces entre la place et La Fourche :

au 6, Valentin, roi de l’imperméable

au 7, Pipes Guyot

au 12 ter, Librairie de l’avenue

au 13, Paris Voyage, maroquinerie

au 19, Le Roi du Bouton, spécialiste à la renommée nationale de tous les boutons

au 20, Cochet, pâtissier-traiteur, fermé en 2002

au 20, Etam, lingerie

au 23, Pronuptia de Paris, le spé- cialiste du mariage,

au 36, Vely, foie gras, truffes, réceptions à domicile, fournisseur, dit-on, de l’Elysée

au 62, librairie France Loisirs.

D’une belle crèmerie 1900, il ne reste que le plafond en verre peint ; pour le découvrir, entrez dans un bazar !

Tous ces commerces ont disparu en quelques années.

Le sentiment général s’accorde pour déplorer la lente descente en enfer de l’avenue de Clichy. Parmi de nombreux autres facteurs, la transformation de son appareil commercial, au cours des années 70-80, y a largement contribué.

Tout semble avoir brutalement basculé au début des années 80. Des fripiers (vêtements d’occasion) remplacent d’anciens commerces, parfois sans en ôter l’enseigne, détruisent la vitrine au mépris de la sécurité des clients et envahissent presque toujours le trottoir par des étalages illégaux. Des « sandwicheries » et autres avale-vite ouvrent dans la foulée, installant sur le trottoir vitrine de brochettes et viande hachée, à l’hygiène approximative. Suivent les bazars et les « tout à 10 F » : même processus, même apparence, même comportement, même mépris de l’environnement, même mépris des lois et règlements, même absence de réaction des autorités (service municipal chargé du contrôle des étalages, police nationale) et même absence de résultats.

Comment peut-on ainsi expliquer que l’ex-Grande Rue des Batignolles, renommée pour ses cafés, restaurants et boutiques, ait chuté si bas en trente années à peine ?

 

1La crise économique d’après 1975 ouvre un boulevard (une avenue ?) aux produits très bon marché. Car, malgré la crise, on consomme toujours mais des produits bas de gamme importés par les bazars, des vêtements d’occasion à bas prix (ne nous trompons pas, l’essentiel de la clientèle des friperies, ce n’est pas le bourgeois branché mais le client dés- argenté qui, lui, n’a pas le choix).

 

2Le déclin continu du commerce indépendant de centre ville. Les années 70-80 ont vu dépérir à Paris, une forme de commerce indépendant, à moins qu’il ne soit hyper spécialisé. Un pouvoir d’achat en berne, le chômage croissant et une inflation à deux chiffres jusqu’en 1983, l’autorité publique choisit de privilégier les grandes surfaces en périphérie des villes et les supermarchés. Des chaînes de magasins populaires (Monoprix, Système U, etc.) et, plus tard, les hard discounters (Ed, Leader Price), émanation des méga-distributeurs freinés par la loi Galland, tuent définitivement la petite distribution indépendante.

 

3 – Les loyers commerciaux et la spéculation immobilière. Avenue de Clichy, les baux commerciaux sont fort élevés. Si élevés que, souvent, le commerce indépendant de qualité qui respecte sa clientèle et l’environnement du quartier ne peut faire face à l’inflation des loyers. Sont ainsi évincés les commerces artisanaux à forte main-d’œuvre, les commerces de bouche en particulier (boulanger, pâtissier, traiteur, charcutier), qui supportent, outre les dépenses immobilières, des charges de personnel souvent garanties, plutôt qu’investir dans la durée avec un partenaire commercial fiable et de qualité. On regrette que cette âpreté au gain, finalement peu rentable, contribue un peu plus à plomber le quartier.

 

4 – L’uniformisation des commerces par quartier ou la mono- activité. Au-delà de l’avenue de Clichy, les fringues ont chassé les librairies du Quartier Latin (auparavant, la rue de la Huchette et la rue Mouffetard avaient basculé dans le « resto gréco-turc»), les magasins de luxe ceux de Saint Germain des Prés et, plus récemment, les grossistes en textile autour de la mairie du 11e arrondissement .Pendant douze ans, un commerçant a pu occuper la quasi-totalité du trottoir sans être jamais véritablement inquiété. Par imitation, beaucoup ont suivi. L’environnement et l’image de l’avenue, dégradés, en pâtissent toujours.

On se demande comment les commerces bas de gamme, même avec des frais généraux et de personnel réduits au minimum, peuvent payer de tels loyers. À moins que le déficit com- mercial soit une fin en soi pour des motifs qu’il appartient à d’autres d’élucider. La concurrence effrénée des meilleurs emplacements entre firmes nationales ou multinationales (Zara, H&M, Camaïeu, Marionnaud, etc.) présentes dans les artères commerçantes ajoute à la spéculation immobilière. Mais, conséquence des loyers trop élevés, ces commerces, même bas de gamme, connaissent une forte rotation. Combien ferment du jour au lendemain, apparemment sans laisser d’adresse ? On ne plaindra pas les propriétaires des locaux qui, trop gourmands ont lâché la proie pour l’ombre, préférant louer très cher. Bref, le seuil critique atteint, il semble qu’une même corporation, tels les moutons de Panurge, s’agglutine pour coloniser une même rue ou un même quartier. Avenue de Clichy, le trait commun dominant serait plutôt la clientèle-cible et l’offre bas de gamme.

 

5 – Le prolongement de la ligne de métro n°13. Cette extension de la ligne 13 a, de fait, élargi la zone de chalandise de l’avenue de Clichy à la clientèle des banlieues très populaires. Des commerces spécifiques s’ouvrent et ciblent cette clientèle au pouvoir d’achat supposé limité. À rebours, l’offre insuffisante dans la proche banlieue peut créer un véritable effet d’aubaine. Lors de la réunion publique du 27 novembre

6 – La circulation automobile ou le tout-bagnole des années 70-80. L’axe de pénétration qu’est l’avenue de Clichy, axe rouge (!), connaît une circulation en constante augmentation depuis trente ans. Bruit et pollution que génèrent ces encombrements ont tué le plaisir de la promenade et contribué, par la dégradation de l’environnement, à chasser les commerces de qualité. Un phénomène similaire se retrouve ailleurs, bd. de Magenta, par exemple. Mieux, on peut aisément affirmer que les commerces de proximité sont d’autant plus fréquentés qu’ils peuvent rendre service à la clientèle locale et que celle-ci peut aisément s’y rendre à pied  d’où l’importance de leur environnement immédiat.

Une étude récente du CNRS, menée dans les centre-villes de Dijon, Grenoble, Lille, Nantes, Salon-de- Provence et Strasbourg, montre ainsi que la dépense moyenne de l’automobiliste est 50% supérieure à celle du piéton ou du cycliste mais sa fréquence d’achat lui est 87% inférieure. Le bilan économique et financier donne au final la priorité aux centre-villes aménagés, respectueux des circulations douces, ce dont témoignent désormais les commerçants strasbourgeois, eux qui s’étaient opposés des années durant au tramway et autres aménagements.

 

7 – L’effet « boule de neige » ou cercle vicieux. La mauvaise monnaie chassant la bonne, dans les années 80, des com- merçants qui, jusque-là, ont choisi la qualité, se décident à quitter l’avenue de Clichy, la mort dans l’âme, et à céder la place aux commerces bas de gamme (voir document encadré).

Effet d’image, l’avenue voit peu à peu son attrait économique s’affaiblir et se « spécialise » dans le bas de gamme.

Voilà ce que l’on pouvait voir avant 1998 entre La Fourche et la Place de Clichy : des piquets descellés, des chaînes mal retenues, bref un paysage et un environnement particulèrement peu aptes à séduire la clientèle et à maintenir les commerces de qualité... L’indifférence de la Ville pour l’avenue et ses quartiers accéléra dans les années 80-90 un déclin commercial bien entamé

En approchant des repreneurs éventuels de commerces laissés vides, déCLIC 17/18 a pu vérifier que les enseignes de meilleure qualité ne sont, malheureusement, pas prêtes de revenir.

 

8 – Le manque de réaction des élus. Dès le début des années 80, de nombreux habitants du quartier voyant avec inquiétude se dégrader très rapidement leur environnement immédiat alertent les élus municipaux.

Mais, si les agents municipaux chargés du contrôle des étalages (très peu nombreux, ils dépendent de la Direction des Affaires Economiques donc de l’adjoint au maire de Paris chargé des finances) ont trop peu réagi, de même que la police nationale qui reçoit ses ordres du Préfet de police nommé par le Ministre de l’Intérieur, c’est que les élus n’ont pas mobilisé les services compétents. Pourtant, ces élus n’ont jamais été avares de déclarations péremptoires

Nous évoquons ici la seule question des devantures, marquises et étalages illégaux sur la voie publique. Car, en ce qui concerne la nature même des commerces, les élus n’avaient pas le pouvoir légal d’intervenir et ne l’ont, hélas, toujours pas.

Date de publication : 
22 janvier 2018