Michel, bouquiniste de la rue Davy… un des derniers Mohicans.

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Devant sa boutique au 21 rue Davy (Photo : Annie Mallégol)

Début mai, à peu de jours du déconfinement, quelques mots écrits à la main sur un minuscule bout de papier : «  A tous les amis de Michel, je suis au regret de vous  annoncer qu’il a passé l’arme à gauche pour le meilleur et pour le pire... »

Cette discrète épitaphe était collée au beau milieu du rideau de fer de sa librairie, 21 rue Davy.

Un rideau de fer  qui désormais  ne se relèvera plus.

C’est une voisine et amie du XXe arrondissement où il vivait qui était venue prévenir le quartier.

Front dégarni, cheveux blancs tirés en arrière et ramassés  en catogan sur la nuque par un petit élastique, barbe à la Tolstoï, lunettes en pince – nez,  joues creusées comme ces rochers sauvages usés par les marées, teint aussi pâle que sa physionomie était bonhomme,  dos légèrement  voûté, gilet et pantalon noirs, chemise rouge, veste de velours à grosses côtes… il avait cette démarche des gens qui ont le temps.

Cette silhouette familière de la rue Davy était celle DU bouquiniste de notre rue depuis bientôt vingt ans.

Un bouquiniste spécialisé  dans le voyage. Un bouquiniste, un vrai, un pur.

Chez lui, pas de bibliophilie haut de gamme, pas de reliures à cinq nerfs, pas de dorures sur tranches,   pas d’incunables sous cloche qu’il faut toucher avec les yeux. Dans sa boutique minuscule, ça sentait bon le bouquin d’occasion, le broché, le poche, les voyages et les rêves, le livre que l’on cherche depuis des années et dont on aperçoit soudain le titre sur un dos insolé, mais aussi  celui que l’on ne connaît pas et que l’on découvre par hasard en se disant «  Tiens, ça, ça doit être bien ».

Dans sa boutique ça sentait bon la poussière, la poussière de livres, celle qui picote le nez et fait tousser un peu, l’odeur du vieux papier, celle des remises, des caves et des greniers. On y devinait le bruit des pages tournées  par des milliers de doigts, les pages de ces  livres parfois fatigués d’être passés de main en main.

A  des années-lumières des ordinateurs et d’Internet, lorsqu’on avait fait bonne pioche sur une des étagères, il filait au fond de la pièce pour noter les références et le prix de l’ouvrage sur un cahier d’écolier qui lui tenait lieu de comptabilité.

En hiver, dans le froid de la boutique, il y écrivait parfois avec des mitaines.

Il manquera une silhouette, il manquera un symbole, il manquera  un ami au prochain marché du livre.

En plein confinement et sans autorisation, il a eu le culot de quitter la rue Davy et son quartier du XXe.

Un ultime pied de nez libertaire au monde d’aujourd’hui ... et à celui de demain.

Bruno Godard
Animateur de l’association « Du côté de la rue Davy »