La fin de "l'esprit place de Clichy"

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La brasserie Wepler, emblème et dernier témoin de "l'esprit place de Clichy"

Depuis quelques mois, ça bouge place de Clichy, « un des carrefours de Paris où la vie est la plus bouillonnante, à la limite du monde des petits bourgeois, de celui des ouvriers et des employés, enfin de la bohême et de la noce », comme la définissait Georges Simenon dans « Le grand Bob » en 1954. Et Simenon fréquentait les lieux : on connaît de lui une photo où il pose complaisamment, sortant d’un hôtel accueillant du passage de Clichy.

 

Depuis 1954, l’ouverture du cinéma Pathé-Wepler, la démolition du Gaumont Palace remplacé par des hôtels et un centre commercial, la disparition de commerces comme la librairie d’occasion côté XVIIIe - mais demeure la Librairie de Paris vaisseau amiral de Gallimard – la cure d’amaigrissement du Havane qui fut le plus gros bureau de tabac de France et de Navarre au profit d’un Starbucks à côté de la pharmacie centenaire ouverte jour et nuit, la place Clichy avait changé. Mais, même si des cafés traditionnels laissaient place à des restaurants de chaîne ou des fast-food, on restait dans la vision simenonienne d’un lieu de rencontres et de fêtes. De Starbucks en Mc Donald’s ou Kentucky Fried Chicken, quasiment à touche-touche, et pas bien loin d’un Quick, c’était un peu l’hommage des multinationales à ce haut lieu du parisianisme. Ou au moins un intérêt commercial bien compris…

 

La mutation s'accélère

Encore que le KFC a remplacé La Champagne, un restaurant de poissons ! Une mutation accélérée. Enfin la rénovation de la place, terminée en 2010, avec son terre-plein et ses trottoirs élargis, la traversée des piétons facilitée est plutôt une réussite et la circulation automobile est plus fluide qu’avant.

Mais on assiste actuellement à une accélération dans la mutation de l’appareil commercial qui pourrait bien transformer l’esprit de la place. Certes, la rénovation du cinéma Pathé-Wepler qui avait été construit en 1956, avec son immense écran sur la façade, la réfection du hall et des salles, terminée tout récemment, renforce le « pôle spectacle » de la place.

 

S'attabler chez Charlot en sortant des Deux-Anes

Pourtant que dire de la récente fermeture de Charlot roi des coquillages, remplacé par un Franprix ? On avait connu tant et tant de cinémas remplacés par des supermarchés, ne serait-ce que le Gaumont Palace… Eddy Mitchell en avait fait une chanson nostalgique en 1977 : C’était la dernière séance et le rideau sur l’écran est tombé ! Mais des restaurants, c’est plus rare. Comme disait le comique « on est quand même un pays de bouffe ». Dans la mouvance de Pigalle, Charlot avait été créé en 1937 par un Marseillais Charlot Lombardo, un ancien de chez Prunier qui avait installé les tables à l’étage devant une grande verrière offrant une vue imprenable sur la place ! On imagine ce restaurant, dans les années 1950, accueillant des provinciaux à l’aise montés à Paris pour le Salon de l’auto ou un congrès, s’attablant chez Charlot en sortant des Deux Anes, dans la mouvance de Pigalle. C’était ça la place Clichy. Pourtant, cet été, la presse titrait « La mythique enseigne de la place de Clichy a définitivement fermé ses portes » ou « Le roi découronné », évoquant « une table traditionnelle où on allait après le spectacle, tard le soir, déguster du poisson de grande qualité et des plateaux de fruits de mer… » concédant toutefois « cela fait longtemps qu’il n’y avait pas eu de rénovation [… ] Charlot ne trouvait sans doute plus sa clientèle ».

Oui, le mode de vie a changé… Cet été, Franprix s’est installé sur trois niveaux. Delphine Bürkli maire du IXe, regrettant « une adresse qui participait au rayonnement de Paris » a demandé que soit conservée la façade historique avec son auvent rouge. Mais à l’intérieur ? Il ne reste rien du pur style art déco sinon, vestige, une enseigne témoin d’une époque révolue. Le magasin a été réalisé dans le style béton brut-tuyaux apparents qui sévit d’ailleurs dans certains cafés récemment transformés. Mais des efforts ont été faits avec l’installation dans les étages de canapés confortables et d’un espace de co-working. On annonce même qu’un banc d’huitres pourrait, un jour, être installé sur le trottoir.

 

Oui, mais l’esprit de la place Clichy dans tout ça…

A l’autre extrémité de la place, côté XVIIe, le Méry, au coin de la rue Biot, avait connu des fortunes diverses : théâtre, cinéma, cinéma porno. Il fut fermé des années, rouvert quelques années, refermé. Ses palissades enlaidissaient le coin. En 2015, on apprend qu’Arthur, l’homme de spectacle, reprenait le lieu. Apparaît une grande pancarte : Théâtre Métropole Opening soon. On parle d’un concept à l’américaine sorte d’Arthur Comedy Club, on évoque les théâtres de Broadway. On découvre des dessins d’architecte : belle façade, une salle de 300 places sur 1 000 m2. On s’en félicite, rêvant d’un pôle spectacle avec l’Européen. Puis, plus rien.

 

Apprendre sport et langues étrangères

L’enseigne est démontée au printemps 2017. Le permis de construire est transféré à une société gérant des salles de sport, pardon de fitness, à l’enseigne Episod sous-titrée Mood your body. Les travaux sont menés tambour battant. Sur la chic façade en marbre, on lit Born to be Alive/Studio Burn Studio Ride/Take me for a rid Sur la porte en verre très classe : What’s your mood today ? Chic, on pourra faire de l’exercice et apprendre des langues étrangères ! Oui, mais l’esprit de la place de Clichy dans tout ça ?

Philippe Limousin

Date de publication : 
18 janvier 2018