Le 14 septembre dernier, la fête du Livre 2019 a été un grand succès. Bruno Godard, qui organise depuis de nombreuses années cet événement nous a fait parvenir le texte suivant.
Cendrillon et la rue Davy
Cendrillon avait la permission de minuit, la rue Davy celle de 19 heures…19 heures 30. Après le douzième coup de minuit Cendrillon s’enfuyait du bal en courant, dévêtue de ses habits de princesse pour se retrouver en haillons et reprendre sa place de pauvre petite bonne à tout faire chez sa marâtre. Peu après 19 heures 30, la rue Davy retrouve elle aussi ses haillons, ses salissures, ses excréments, ses voitures qui collent au trottoir, sous les roues desquelles s’accumulent bouteilles, canettes, détritus de toutes sortes, petits immondices quotidiens. Les motos réintègrent à leur tour leurs emplacements réservés où des dizaines de pots d’échappement en rangs d’oignons, tournés vers les immeubles, asphyxient tous les matins les rez-de-chaussée.
Or, la rue Davy n’est pas la princesse d’un conte de Giambattista Basile, Charles Perrault ou des frères Grimm. Aucune pantoufle de verre pour l’arracher à son sort. La rue Davy doit compter sur elle-même, sur ceux qui l’aiment et la respectent.
L’Association Du côté de la rue Davy, que beaucoup nomment désormais La rue Davy, par une sorte de métonymie plutôt sympathique, est une minuscule embarcation, plus légère qu’un bouchon, qui depuis dix-sept ans danse sur les flots souvent grisâtres de la citadinité d’un quartier populaire et attachant, une minuscule embarcation mue par un petit équipage dont chaque membre lui donne vie. Si l’un d’eux vient à manquer, le bateau coule.
La rue Davy n’a jamais hissé la grand-voile, n’ayant jamais imploré les vents porteurs des subventions, aquilons et autres zéphyrs trop sucrés et préempteurs. Le petit équipage têtu, fidèle à son cap et à son éthique a toujours avancé à la rame. Si l’un vient à lâcher, le brick perdu va à la dérive, jouet du flux et du reflux.
Pour sa dix-septième fête du Livre La rue Davy a rendu hommage à Rimbaud…on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Comme souvent le camarade Soleil était de la partie. Jonchées de livres, poésie, flûte et violoncelle, rock, jazz, fresques et peintures ont cette année encore donné des couleurs à la rue, comme le poète en donnait aux voyelles.
Par ce jour bleu d’été, des centaines de riverains, badauds et flâneurs, chineurs, promeneurs et rêveurs, ne sont pas allés dans les sentiers, picotés par les blés, fouler l’herbe menue, mais ont arpenté le macadam de la chaussée, de bas en haut et de haut en bas, de 7 heures à 19 heures 30, chaussée rendue piétonne par la sueur et les coups de rames du petit équipage.
Pour sa dix-septième année, La rue Davy s’est mise en tête un projet de métamorphose, non pas celle seulement d’un jour par an, mais une métamorphose pérenne, une métamorphose qui lui permette, lorsqu’elle abandonne sa robe de bal à 19 heures 30, un samedi par an, d’être vêtue le restant de l’année décemment, proprement, joliment…on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans.
Les riverains, les amoureux de la rue et du quartier, les fidèles de la fête du Livre, ont souvent le désir de tancer gentiment nos décideurs à qui nous acceptons de déléguer notre pouvoir et qui passent rue Davy, mais seulement le jour du bal, en leur disant à la manière de Baudelaire qui houspillait son mauvais vitrier : « Comment ? Vous n’avez de verres de couleur ? Des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Impudent que vous êtes ! Vous osez vous promener dans les quartiers pauvres, et vous n’avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau ! »
Pour ces dix-sept ans, La rue Davy ne demande pas de vitres magiques ni de vitres de paradis, mais, aidée, soutenue et relayée par les riverains, les habitants du quartier et les associations amies, tous désireux de voir la vie en beau, Elle voudrait faire aboutir un projet d’élargissement du trottoir des numéros pairs avec végétalisation de la rue de part et d’autre de la chaussée, harmonieuse et réfléchie, et non pas quelques grains jetés dans une basse-cour, une végétalisation intégrée dans un réel projet de transformation de la rue, qui serait un pas vers une mue progressive du quartier de La Fourche à Guy Môquet.
Ce projet pour la rue Davy, qui pourrait osciller de la « zone de rencontre » à la piétonnisation nécessite d’être porté à la discussion en conseil de quartier. La rue Davy ne désire pas être une princesse, ce n’est pas son style et ce ne sont pas là ses origines. Elle est une rue populaire, très empruntée, qui ne court pas après la gentrification. Elle sait qu’elle ne peut être ce qu’elle fut, à savoir une rue aux commerces multiples, mais peut devenir ce qu’elle n’est pas aujourd’hui, une rue propre et arborée où les passants déambulent et se croisent sur les trottoirs… et pourquoi pas sur la chaussée.
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans.
La rue Davy remercie tous ceux qui depuis dix-sept ans restent fidèles à cette petite fête d’un jour, cette valse à contretemps, qui sans eux n’aurait pas pu continuer de tourner. Elle les remercie par avance pour leur soutien dans ce projet.
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.
Bruno Godard, pour l’Association Du côté de la rue Davy